Caroline Notté En duplex avec la modernité, anno 1924

Caroline a la chance d’habiter une des maisons modernistes les plus célèbres d’Uccle et elle s’y investit totalement. Pour lui faire honneur. Chaque vie est une trame de parcours, d’étapes, de bifurcations qui ont finalement un sens, mais qu’on ne perçoit pas toujours au moment même. Tout ne peut être hasard, il doit y avoir un fil conducteur caché dans la trame de l’existence… C’est du moins ce qu’on se dit quand on voit comment le voyage de certains les conduit, inconsciemment, là où ils désiraient aller. La vibration qui résonne depuis longtemps en Caroline Notté, c’est celle de l’univers moderniste et rationnel des années 30 et 40, la révolution des “machines à habiter” ouvertes à la lumière. Et l’évolution rapide, de l’art décoratif vers le design fonctionnel et des lignes d’une pureté devenue intemporelle. Caroline, architecte d’intérieur et professeur d’architecture au C.A.D., vient de poser avec bonheur ses valises dans un lieu emblématique de tout ce qu’elle aime: la maison personnelle d’un des maîtres belges – et internationaux – de l’architecture moderniste, Louis Herman De Koninck. Construite en 1924 Avenue Fond’Roy, elle est juste à côté de la célèbre maison Lenglet que Louis Herman De Koninck a réalisée plus tard, en 1926. De la rue, on ne reconnaît pas vraiment la maison de l’architecte, qui l’a surmontée d’appartements sur trois étages en 1970. Mais elle est toujours là, intacte: elle est simplement devenue aujourd’hui un duplex de 180 m2, avec un rez-de-chaussée à front de rue et un deuxième niveau inférieur, donnant directement sur un magnifique jardin. “C’était totalement inhabituel pour l’époque, où le “bel étage” était d’ofce le premier. Mais la conception de Louis Herman De Koninck, de mettre les pièces principales au niveau du jardin, était géniale. Et elle le reste. C’est chaque fois une magnifique surprise de descendre ici et de découvrir ce jardin.” Depuis le living aux grandes baies, Caroline Notté a une vue plongeante sur le vert tendre du printemps hâtif et un arbre majestueux qui prend racine en contrebas. A côté, la villa Lenglet partage la même implantation intelligente, qui tire le meilleur parti possible de ce terrain en pente assez abrupte. Avec un peu de bonne volonté, en évitant de trop regarder les façades arrière plus prétentieuses bâties longtemps après par des promoteurs, on pourrait se croire revenu dans l’Uccle des années ‘20… D’autant plus que Caroline, à l’intérieur, a tenu à préserver et mettre en valeur les détails de l’héritage de l’architecte. Le mur du fond du living, bordé par l’escalier qui descend du rez, est d’un bleu sombre mais chaud, le bleu utilisé par Louis Herman De Koninck dans la célèbre esquisse pour sa maison que conservent les Archives d’Architecture Moderne. La couleur d’origine était bordeau mais celle-ci s’harmonise tout aussi bien avec les carreaux de granito du sol, les plinthes de carrelage beigerose, les châssis métalliques des fenêtres, la vitrine encastrée dessinée par l’architecte, la grille volontairement apparente d’aération du chau fage à air pulsé, encore une invention de Louis Herman De Koninck. Une de ses autres inventions restée célèbre, la cuisine industrialisée Cubex, est juste à côté du living, avec ses placards aux portes coulissantes et ses bocaux de verre, intégrés de manière à voir en un coup d’œil leur contenu. Dans les années vingt, tout cela était révolutionnaire et le miracle, c’est que cela reste moderne, le temps paraît avoir eu aussi peu de prise dessus que sur le style Bauhaus des horloges de gare suisses ou la police de caractères Futura… “Et c’est d’une simplicité, d’une force qui m’inspirent énormément de respect. Quand je suis arrivée ici, j’étais terriblement intimidée par cette afrmation de la personnalité, cette clarté des intentions et des lignes, j’ai voulu faire honneur à cet endroit.” Elle l’a joliment mis en valeur, en créant dans une annexe du living un contraste avec des murs dorés à la feuille, qui réchau fent la sévérité des lignes de l’architecte. Mais celles-ci font un décor parfait, par ailleurs, pour les meubles et objets de qualité que Caroline a installés dans son salon, un porte-manteau de Wabbes, des pièces de Benoît Féron, Pol Quadens, Armand Jonckers, tapis de Michel Antoine. Des coussins, des tables, des poteries artisanales, des objets qu’elle représente parce qu’elle les aime et les a sélectionnés pour leur valeur: “J’ai le culte des objets, j’aime qu’ils dialoguent avec les autres éléments d’un intérieur. Et j’aime les partager, je n’ai pas envie de les garder exclusivement pour moi…” Fournir des éléments de décor de vie exceptionnels, c’est une nouvelle corde à son arc de décoratrice et d’architecte d’intérieur – métiers qu’elle exerce à plein temps, mais à l’étage du dessus, niveau rue. Avec beaucoup de plaisir, elle a installé son bureau à l’emplacement même de celui de Louis Herman De Koninck. La lumière qui vient des baies donnant sur le jardin est idéale pour travailler, la vue est superbe. La disposition choisie par l’architecte à l’origine plaçait le bureau juste entre sa chambre personnelle et sa salle de bains; Caroline a converti l’espace de la chambre en bureau. Ici, on n’est plus dans l’univers moderniste mais dans une ambiance très actuelle, surfaces blanches et moniteurs 4K, opposés à des taches de couleur et des matières naturelles, une grande photo d’une salle d’opéra, une œuvre ébouri fante de Joana Vasconcelos. On n’a plus du tout le sentiment d’être dans la même maison et pourtant, son ordonnance se prête avec une parfaite harmonie à un environnement de travail hypercontemporain. Le talent, c’est aussi l’art de marier le passé et le présent en les faisant dialoguer. Quand l’écrin est de cette qualité-là, les bijoux ne peuvent être que plus beaux encore.

Stève Polus

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